Artho, peux-tu nous présenter Rotting Christ ?
Un jeu de rôle a deux jambes : la jambe game-play et la jambe univers. Avec Rotting, ces deux jambes sont très originales. Pour le game-play, on a viré les combats ! Toutes les confrontations se règlent grâce à un système de duel musical, j’y reviendrais. Pour l’univers, on est dans celui du groupe qui a donné son nom au jeu. C’est du black metal grecque très orienté vers les mythologies antiques. Pour eux, le Christ a fait disparaître les anciens dieux au profit de la société moderne et de ces vices. Avec ces deux jambes là, on a tricoté un jeu qui se joue à 200 bpm aux milieux des enfers grecques, avec le signe des cornes comme marque de fabrique et « Gloire à Satan » en guise de cris de ralliement.
Quels sont les spécificités de Rotting Christ ?
Pour moi c’est évident, la spécificité c’est la partie musique. J’ai fait le tour des jeux où il faut tuer les larbins, les sous-lieutenant, le traître et le boss final. C’est caricatural, mais ça laisse souvent un petit goût amer : soit tu tues soit tu fuis. Ici, les joueurs doivent se casser la tête pour trouver une issue originale pour terminer le duel musical qui sert de confrontation.
On a créé un solfège ludique à base de notes musicales d’air, d’eau, de terre et de feu. S’ajoutent les notes humaines qui émanent de tout ce qui a été construit par l’humanité et les notes sataniques qui englobent le chaos, le surnaturel, le vide, le mystique et toutes ces choses encore inconnues. Ces notes sont rythmées par une vibration qui dégage à la fois le tempo de la musique et l’émotion qu’elle procure. Avec ces notes et la vibration, les joueurs jouent une composition musicale qu’ils confrontent à celle de leur adversaire. Le groupe qui arrive à prendre le lead durant le duel impose sa compo à son adversaire. Ceci le transforme, le fait fuir, le transporte ailleurs, ou tout ce que peuvent imaginer les joueurs (et ils imaginent beaucoup de choses). Avec ce système, les joueurs peuvent aussi affronter des objets inanimés. Par exemple, un portail peut émettre des notes de terre qu’il faut transformer en notes d’air afin de voyager vers un autre monde.
Et surtout, les duels se font en musique, avec les chansons du groupe puisque nous avons les droits pour exploiter leurs musiques, leurs textes et leur univers graphique. Ce qui est une première en jdr et aussi incroyable cool. Si un duel se déroule sur une chanson « Rotting Christ – In the name of God », le duel se termine en 4 min 03 puisque c’est le temps de la musique. Ça met un bon coup de pression aux joueurs et rend les duels extrêmement nerveux et speed.
Du point de vue du joueur, je joue quoi ?
Je pense que tous les lecteurs ont déjà une petite idée de ce qu’ils vont jouer. On joue une chanteuse, un guitariste, une bassiste, un batteur, une clavériste, ou n’importe quel autre musicien. Et le groupe de PJ forme un groupe de (black) metal. Le truc fun c’est que le batteur n’a pas à se trimballer son instrument. Dès qu’un PJ décide de faire de la musique, son instrument apparaît dans ses mains, déjà réglé et amplifié. Son instrument peut avoir n’importe quelles finitions. Si le PJ souhaite jouer d’une guitare en feu ou d’un clavier en os, c’est possible. Et la tenue de scène habit le PJ. C’est un peu comme Sailor Moon, mais avec de la bière.
Du point de vue du meneur, du manager, comment ça marche ?
Déjà un MJ/manager ne lance pas de dés. Et les règles sont ultra fluides pour celui-ci. Les antagonistes ont un socle de règles en commun qui correspond globalement aux techniques de base des PJ. À cela s’ajoute une particularité très forte à chaque PNJ (et à chaque duel) qui fait l’essence même de ce personnage. Dans Rotting Christ, on pousse vraiment les MJ à être originaux et à inventer des duels qui correspondent aux défis qu’ils veulent imposer aux joueurs. Si t’es MJ et que tu souhaites que les PJ activent un artefact ancestrale au sommet d’un temple entouré d’une nuée d’âme en peine, les règles le permettent. Si tu veux que les PJ empêchent la lune de s’écraser sur la Terre grâce à la puissance de leur musique, c’est faisable. Avec Rotting Christ, le but est de jouer des aventures épiques.
À qui s’adresse Rotting Christ ?
On a voulu que ce jeu, un peu unique pour l’instant, puisse être accessible à beaucoup de monde. Du coup, on s’est cassé la tête pour qu’une large population s’y retrouvent, des métalleux qui n’ont jamais pratiqués le jeu de rôle jusqu’aux fans de porte-monstre-trésor. En revanche, on ne cache pas que c’est un jeu stratégique. Les règles sont épurés au max, mais il faut savoir ce que ton personnage sait faire et comment il le fait. En 4 min 04 t’as pas le temps de compulser le bouquin. On a orienté le game-play et la feuille de perso pour que tout soit fluide. Il faut compter une demi-heure pour expliquer les règles et un ou deux duels pour maîtriser le truc. Après ça, tu envoies des riffs démoniaques en jouant avec ta guitare derrière la tête.
Qui se cache derrière Rotting Christ ?
Globalement, il y a deux auteurs : Batro et moi (Artho). Batro c’est Planète Hurlante, Mantoïd, Mantra, la trilogie de la crasse et j’en passe. Tout le monde le connaît alors je ne vais pas le présenter. Hervé Clerc a beaucoup bossé sur la campagne en nous dégageant les grands axes, la recherche bibliographique et mythologique, et en faisant les étude de textes (en grecque ancien et moderne) des lyrics du groupe. Un gros boulot. Pour le petit fun fact, on s’est fait une virée Montpellier-Barcelone tous les trois pour assister au concert de Rotting Christ. On a échangé avec le leader Sakis Tolis. Un mec super cool qui s’est inquiété de nous voir rentrer si tard et nous a demandé si on avait pas trop bu d’alcool. En sommes, un papa poule qui chante Gloire à Satan. Ensuite sur le projet, il y a Kalwrynn qui s’est chargée de rédiger le kit de démo. Et Quentin Bachelet a bossé sur la maquette. Vous pouvez lire leur bio sur le grog.
De mon côté, ça fait longtemps que j’ai envie d’inclure vraiment la musique dans le jdr. C’est vraiment un manque. Du coup j’ai créé des règles de duels musicaux. Sauf que je ne suis pas musicien alors je suis parti de zéro. J’ai inventé un solfège et des actions musicales qui permettent de faire surgir la musique d’un lancé de dés. Assez vite j’ai compris qu’il ne fallait pas faire un jeu qui mime le fait de jouer d’un instrument, mais juste qui extrait l’essence ludique et narrative de la musique. C’est finalement comme pour les combats dans le jeu de rôle. Je crois qu’on a compris que faire du simulationniste est une cause perdue du jdr. Ce sont des tables, des calculs et des sous-systèmes à n’en plus finir. Les systèmes de combats qui marchent bien en ce moment se veulent fluides et cinématiques. C’est pareil pour Rotting Christ mais version musicale. Une fois que j’ai composé ce système, j’ai pu me faire plaisir sur les scénarios. Mon truc d’ailleurs c’est plus raconter des histoires. Pour moi, le système ne doit être qu’un appui au jeu.
Rotting Christ : de l’idée de base à aujourd’hui.
L’idée de faire des duels musicaux en jdr remonte à une grosse dizaine d’années. Les trois inspi majeures sont « Guitar Hero », « Tenacious D and the pick of destiny » et « The crypt of the necrodancer ». À partir de là, le reste est des nœuds au cerveau et pas mal de soirée à plancher sur un truc qui tient la route. Les premiers tests remontent à fin 2016 je crois. Les premiers joueurs ont perdu pas mal de neurones sur un système beaucoup trop complexe. Après, j’ai mis à feu doux dans une casserole et j’ai réduit tranquillement pendant des mois.
Puis on a croisé les projets avec Batro pour faire Rotting Christ. Il vous dira comment il a eu la licence, mais en gros, j’avais des règles de musique et lui l’univers d’un groupe de metal à exploiter. Il m’a dit « faut pas réduire à feu doux, mais à feu vif ». On a taillé dans le gras et testé pleins de trucs en une année très intense. J’ai perdu ma santé mentale. Mais finalement on a un truc vraiment cool. On a fait le gros de l’écriture entre avril et novembre 2019. Après c’est de l’édition. Et dernièrement, pendant le confinement généralisé, on a vu qu’il restait de la place alors on a ajouté un scénario au livre de campagne.
Quelles sont les perspectives du jeu ?
Sauf si des fans hard-core nous séquestrent, on a fini pour Rotting Christ. En résumé ça fait des règles pour faire des duels de metal + 2 scénarios indépendant + une campagne en 4 chapitres. Allez, on va peut-être sortir quelques scénarios officiels. Et on compte sur la communauté pour écrire un peu.
Maintenant c’est sûr que moi j’adore faire de la musique dans mes parties. Ce qu’il y a en projet, c’est de prendre le coeur du jeu, le système « Maestro », de le débrider et transformer grâce à toutes les idées que j’ai en stock et aux retours des joueurs. Une fois ceci fait, on devrait sortir un jeu générique pour tous les styles musicaux, avec des variantes pour s’adapter aux spécificités. La musique classique et le rap ne se traitent pas de la même façon (et j’adore les deux). Après, si Iron Maiden nous font une proposition pour sortir le jeu de rôle Iron Maiden, ça se négocie.
Allez, on va peut-être sortir quelques scénarios officiels et on est aussi présent sur Discord+Roll20.
Découvrez le kit démo: http://batrogames.blogspot.com/2020/01/kit-de-demo-rotting-christ.html?m=1
Rotting Christ sur gameontabletop
Note : propos recueillis et mis en page par @admin